Le sauveur du climat serait-il arrivé ? Son nom, il le signe à la pointe de l’épée, d’un T qui veut dire Torro (et il fabrique des voitures électriques).
Euh autant le dire tout de suite, non.
Pas mal quand même
En passant tout le parc des voitures particulières à l’électrique, sans rien changer d’autre, et si tant est que ce soit possible, on économiserait certes en France de 60 à 70 Mt de CO2 par an comme nous le verrons. Ce n’est pas mal du tout. Si vous avez vu l’épisode précédent sur les voitures thermiques, c’est presque la même réduction que nos quatre ambitieuses mesures réunies. Mais c’est seulement 10% de notre empreinte carbone totale (empreinte environ 660 Mt), quand il faudrait la réduire de 80% d’ici 2050. Un petit pas pour l’homme, mais un petit pas quand même.
En fait, même ce petit pas peut paraître surprenant. On prend les mêmes voitures mais avec des moteurs électriques et on les alourdit de quelques centaines de kilos d’énormes batteries… À quel moment on s’attend à améliorer notre bilan carbone ?
Les kWh
En effet, 1 kg de batterie stocke actuellement moins de 200 Wh tandis qu’1 kg d’essence stocke 13 kWh (65 fois plus), vous voyez qu’il fallait quand même de l’audace pour parier sur l’électrique.
Je vais beaucoup parler de kWh dans cette vidéo, faisons un petit point… Le watt est une unité de mesure de puissance (1 W = 1 J/s = 1 kg.m2/s3 pour les puristes du système international). Pour donner une idée, pédaler pendant une heure à 200W est déjà une belle performance. Les meilleurs cyclistes sont capables de développer 400W pendant 30 minutes. Lorsqu’on développe une puissance de P watts pendant t heures, l’énergie dépensée est égale à P*t, exprimée en Wh. Nos deux cyclistes précédents dépensent ainsi une énergie de 200 Wh. Et vous vous en doutez, un kWh est égal à 1000 Wh, ce qui représente donc, par exemple, l’énergie dépensée par un cycliste pédalant à 200W pendant 5h (une étape du Tour de France), ou encore à une ampoule de 10W éclairée pendant 100h. En d’autres termes, un kWh est une unité d’énergie qui, si elle n’a rien d’extraordinaire pour des machines, est assez conséquente à notre échelle humaine puisqu’au prix actuel du kWh notre cycliste serait payé 4 centimes de l’heure.
Pourquoi c’est mieux que le thermique
Mais revenons à nos moutons électriques. En réalité ce qui sauve la voiture électrique, c’est bien sûr qu’on sait produire de l’électricité bas carbone, mais aussi et surtout qu’on la compare à la voiture thermique qui est particulièrement mauvaise.
Un moteur à explosion a beau avoir un rendement maximal de l’ordre de 40% dans les conditions optimales, les conditions ne sont jamais optimales : le moteur est surdimensionné pour la faible puissance généralement demandée, il est inefficace à bas régime, et il tourne à l’arrêt une bonne partie du temps. Ce qui fait qu’en pratique son rendement moyen ne dépasse pas 20%. Si l’on prend en compte l’énergie nécessaire pour extraire, raffiner et transporter le pétrole, une voiture thermique met à profit environ 15% de l’énergie disponible seulement.
Qu’en est-il pour la voiture électrique, allez-vous me dire ?
Une centrale électrique typique a un rendement de 30 à 50% et le moteur électrique un rendement de 80 à 90% environ donc une voiture électrique utilise de l’ordre de 30% de l’énergie disponible, deux fois mieux que le thermique. Par ailleurs, lorsque l’électricité est nucléaire ou renouvelable, la production de cette énergie émet beaucoup moins de CO2 qu’avec des combustibles fossiles.
Voilà pourquoi il n’est finalement pas déraisonnable d’espérer des gains en émissions de GES malgré le poids de la batterie.
Mais la fabrication ?
Et la voiture électrique, n’est-ce pas aussi moins de bruit, moins de pollution et moins d’apnée à vélo en ville derrière un pot d’échappement diesel, non ? Que demander de plus ? Certes une voiture électrique pollue très peu en ville, mais la pollution est déplacée. Sur le lieu de production de l’électricité bien sûr. Mais aussi pour fabriquer la batterie. Une batterie d’une capacité de 60 kWh (la batterie standard du fameux T qui veut dire Torro) pèse environ 500 kg. Sa fabrication est extrêmement polluante, notamment à cause de l’extraction du lithium. Ce n’est donc clairement pas la panacée. Malgré les apparences, véhicule électrique ne rime donc pas avec écologique. Et si on se concentre sur les gaz à effet de serre, sa fabrication émet selon les études entre 50 et 110 kg de CO2-eq par kWh de capacité. Donc entre 3 et 6,6 tonnes pour une batterie de 60 kWh.
C’est beaucoup. L’enjeu est maintenant de comprendre si c’est juste beaucoup, ou vraiment très beaucoup.
Nous allons voir que, si la voiture électrique n’est pas la solution, elle reste tout de même bien plus intéressante qu’une voiture thermique en France en ce qui concerne les gaz à effet de serre, même avec des hypothèses pessimistes. Le bilan carbone des voitures électriques a en effet bien évolué en dix ans, et c’est tant mieux.
En revanche, la question de savoir s’il faut mettre sa voiture thermique à la casse pour acquérir tout de suite une voiture électrique moins émettrice est plus délicate à trancher comme nous le verrons à la fin de l’épisode 3.
Et surtout, il ne faut pas perdre de vue que la voiture électrique est un moindre mal, mais certainement pas un bien, en particulier à cause de la pollution due à la fabrication des batteries, et de l’exploitation des ressources (en cuivre, en lithium ou autre) qui pourraient peut-être au passage s’avérer limitantes pour passer le parc automobile mondial à l’électrique. Rien que pour les gaz à effet de serre, comme nous allons le voir, il faudra revoir tout notre modèle de déplacement pour rendre la voiture électrique compatible avec nos objectifs climatiques. Il n’en reste pas moins que c’est un élément probablement nécessaire dans notre quête de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Les hypothèses
Pour la suite, je vais choisir des hypothèses relativement pessimistes pour différentes raisons que je vais détailler, mais aussi et surtout pour montrer que même dans ces conditions la voiture électrique a un bilan carbone bien meilleur que sa consœur thermique dans la plupart des pays, et a fortiori en France avec son électricité faiblement carbonée.
1. Il est généralement admis qu’une voiture électrique consomme entre 15 et 18 kWh pour 100 km. Or les mesures sont effectuées lorsque la température extérieure est clémente. En hiver, quand il fait froid, les performances sont nettement dégradées. De même sur autoroute. J’ai donc choisi de prendre 20 kWh/100km comme valeur moyenne dans la suite.
2. Le prix au km est beaucoup moins élevé que pour une voiture thermique (c’est l’un des « avantages » des voitures électriques), ce qui impliquera sans nul doute un effet rebond, c’est-à-dire qu’on aura tendance à parcourir plus de km. Nous prendrons une augmentation de 10% de la distance annuelle parcourue par une voiture électrique par rapport à une voiture thermique.
3. Dans la course à l’autonomie que se livrent les constructeurs de voitures électriques, les batteries enflent et leur bilan carbone également. Je prendrai donc la fourchette haute de l’estimation des émissions de gaz à effet de serre de la fabrication d’une batterie, à 5t de CO2-eq par batterie.
4. Le mix électrique français émet autour de 60 à 70g de CO2-eq par kWh (selon les années et les besoins de chauffage essentiellement), ce qui est peu par rapport à nos voisins, notamment grâce au nucléaire. Or les déboires récents sur les réacteurs français, ainsi que les 12 ans de retard de l’EPR de Flamanville, n’incitent pas à l’optimisme quant au futur de notre parc nucléaire. En particulier, si tout le parc automobile passe à l’électrique, ce sont 7 réacteurs EPR supplémentaires qu’il faudrait. Vous allez me dire qu’on utilisera de l’électricité renouvelable à la place. Il faudrait déjà en produire suffisamment, et ça pose d’autres problèmes. Bref, tout ça pour dire que je vais considérer des émissions de 100g de CO2-eq par kWh, comme si la moitié du surplus d’environ 20% de production électrique nécessaire pour passer à un parc automobile électrique complet était fourni par du gaz et du fioul.
5. Enfin, il n’est pas très cohérent de comparer les voitures électriques à la moyenne des voitures thermiques existantes. Les voitures électriques actuelles sont en moyenne plus petites, et les voitures thermiques ont elles aussi fait des progrès ces dernières années. Donc nous prendrons pour comparaison une voiture thermique type compact diesel actuelle qui émet 120g de CO2 par km soit, si l’on inclut le facteur d’émission comme à l’épisode 1, en réalité 145g de CO2-eq/km.
Voilà, je crois que j’ai fini les présentations. Le match électrique vs thermique peut commencer. En résumé nous prendrons :
- 20 kWh/100km pour une voiture électrique
- 10% de trajet supplémentaire pour la voiture électrique, ce que nous modéliserons en prenant finalement 22 kWh/100km au lieu des 20 mentionnés au point 1.
- 5t de CO2-eq pour la fabrication d’une batterie
- 100g CO2-eq/kWh pour la production électrique
- 145g CO2-eq/km pour la voiture thermique
- une durée de vie de 200.000 km pour les deux véhicules et 6t de CO2-eq pour leur fabrication (hors batterie) car ce sont des voitures plus petites que la moyenne des voitures existantes considérée à l’épisode 1 (où l’on avait pris la valeur de 7,5t CO2-eq)
Il est fréquent que les espoirs suscités par une nouvelle technologie incitent à l’optimisme. En prenant l’attitude inverse, nous évitons les mauvaises surprises et livrons un tableau peut-être plus réaliste. Nous retrouverons de toute façon le consensus scientifique actuel, à savoir qu’une voiture électrique émet beaucoup moins de gaz à effet de serre qu’une voiture thermique sur sa vie entière.
Bien. Passons déjà enfin au vif du sujet. Ah ben non, c’est la mi-temps, le match reprendra à l’épisode 3.
Sources
- Divers rendements : moteur à explosion ; pétrole ; électricité ; moteur électrique.
- Autonomie des voitures électriques.
- Émissions lors de la production des batteries : Crenna, Gauch, Widmer, Wäger et Hischier, 2021 (autour de 100kg CO2-eq ou plus par kWh) ; Hoekstra et Steinbuch, 2020 (40 à 100kg CO2-eq/kWh selon les études, 75 en moyenne) ; Kelly, Wang, Dai et Winjobi, 2021 (50 à 60kg CO2-eq par kWh).
- Émissions de la production d’électricité : par source ; hydroélectricité (p. 540) ; pour la France.
- Réacteurs nucléaires à l’arrêt en 2022.
- Empreinte carbone française.
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