Nos joueurs reviennent enfin des vestiaires pour la seconde période de ce match palpitant. À ma droite l’honorable voiture thermique, à ma gauche le challenger la voiture électrique.
Stats & pronos
Je vous rappelle les stats de nos deux adversaires. Pour de bonnes raisons détaillées à l’épisode précédent, nous avions pris les chiffres suivants :
- 22 kWh/100km pour une voiture électrique (y compris les 10% de trajet supplémentaire dus à l’effet rebond)
- 5t de CO2-eq pour la fabrication d’une batterie
- 100g CO2-eq/kWh pour la production d’électricité
- 145g CO2-eq/km pour la voiture thermique
- une durée de vie de 200.000 km pour les deux véhicules et 6t de CO2-eq pour leur fabrication (hors batterie).
Malgré ces hypothèses pessimistes pour la voiture électrique et optimistes pour la voiture thermique, vous verrez que la voiture électrique sortira victorieuse par KO, du moins en ce qui concerne les gaz à effet de serre. Toutefois, quitte à nous répéter, la voiture électrique est loin d’être vertueuse et n’est qu’un moindre mal en particulier à cause de la pollution due à la fabrication des batteries, de l’exploitation des ressources (cuivre et lithium notamment), et même des gaz à effet de serre d’ailleurs. Nous préférions insister.
La photo finish
Remarquons pour commencer que 100g de CO2-eq/kWh et 22 kWh/100km donnent 2,2kg de CO2-eq par 100km pour la voiture électrique, contre 14,5 pour la voiture thermique, soit 6 à 7 fois moins tout de même. Tous les 100km, elle émet ainsi 12,3 kg de CO2-eq de moins. Cela lui permet de compenser peu à peu sa « dette carbone » de 5t due à la fabrication de la batterie.
Voici donc les émissions cumulées de CO2-eq pour la voiture thermique et pour la voiture électrique au fur et à mesure des km parcourus.
La « dette carbone » de la voiture électrique est remboursée en environ 40.000 km. Au-delà, elle émet bien moins de CO2 que la voiture thermique. Sur sa durée de vie, la voiture électrique aura émis 15,4t de CO2-eq, soit 77g par km. Ce n’est pas rien. Le prochain qui affirme qu’une voiture électrique émet 0g de CO2 par km devra copier mille fois le mot CO2-eq.
Mais notre voiture thermique quant à elle, pourtant performante, aura émis 35t, soit 175g par km, bien plus du double. Il n’y a effectivement pas photo.
Au total, la fabrication de 2 millions de voitures électriques par an (qui est grosso-modo le nombre de voitures vendues en France actuellement) produirait 22 Mt CO2-eq, et leur utilisation (440 milliards de km cumulés par an actuellement) de l’ordre de 10 Mt, pour un total de 32 Mt/an, soit 68% de moins que les voitures thermiques actuelles. Pas mal tout de même. Nous parlons ici seulement des voitures particulières, mais pour les autres véhicules, utilitaires, camions, deux roues, passer à l’électrique amènerait une réduction de même ampleur bien sûr.
Compétiteurs internationaux
Et dans les autres pays ? En moyenne en Europe où la part des centrales au gaz, au fioul ou au charbon est plus importante, le kWh électrique émet autour de 270g de CO2-eq. En Allemagne ou aux États-Unis c’est plutôt 360g environ. Dans ces deux pays, la dette carbone est donc moins vite épongée bien sûr.
Toujours avec l’effet rebond de 10% et nos hypothèses pessimistes, une voiture électrique émet en effet 7,9kg pour 100km soit 6,6kg de moins que la voiture thermique, et il faut donc attendre environ 75.000 km pour rembourser la dette carbone de 5t. Sur la durée de vie, on est à 26,8t, soit 134g par km, contre toujours 175 pour notre voiture thermique. L’intérêt se réduit quand même significativement, mais le bilan reste positif.
Voici la courbe représentant le nombre de km à parcourir pour rembourser la dette carbone d’une voiture électrique en fonction du nombre de grammes de CO2-eq émis par la production d’un kWh électrique.
En Chine où le kWh électrique émet près de 550g de CO2-eq à cause de nombreuses centrales à charbon, la dette carbone est remboursée seulement à la toute fin de la durée de vie de la voiture (200.000 km), et l’électrique n’est donc pas meilleur que le thermique. Est-ce une ineptie alors que la Chine construit des voitures électriques à tour de bras ? Pas si nous prenons des hypothèses moins pessimistes pour ce pays : batteries et voitures plus petites, décarbonation progressive de son électricité, etc.
En revanche en Pologne par exemple, à plus de 700 g de CO2-eq par kWh, difficile de préconiser la généralisation de la voiture électrique tant que le mix électrique ne s’améliore pas. Là, seuls les véhicules plus sobres sont compétitifs.
Nous pouvons confirmer ce constat en observant le pourcentage de réduction d’émission de gaz à effet de serre qu’offre une voiture électrique par rapport à son homologue thermique en fonction du mix électrique.
En conclusion, à part en Pologne, si vous devez changer de voiture, voici le classement des options à considérer :
- de loin la meilleure option : ne pas racheter de voiture (entre 0 et 5g de CO2-eq/km à pied, vélo, métro ou train, et surtout moins de km parcourus au final)
- acheter une VE (autour de 100g de CO2-eq/km sur la durée de vie complète)
- acheter une petite VT performante (autour de 180g/km)
- (interdit) acheter un Hummer (autour de 750g/km)
Le coin des optimistes
Maintenant qu’on a compris que, même en étant pessimistes, la voiture électrique est une bien moins mauvaise solution que la voiture thermique en ce qui concerne les gaz à effet de serre, il faut réaliser que, malheureusement, les 30 à 40 Mt de CO2-eq annuelles émises par le parc électrique (22 Mt pour la fabrication et 10 Mt pour l’utilisation) resteraient beaucoup trop élevés pour atteindre nos objectifs carbone de 2050.
Alors soyons maintenant optimistes et voyons comment réduire encore.
- Grâce à des avancées technologiques, de l’optimisation et des batteries plus petites, supposons que nous atteignons maintenant 2,5t CO2-eq pour la construction d’une batterie (au lieu de 5 ci-dessus).
- De même pour la fabrication des véhicules, en imaginant qu’ils deviennent plus petits, nous prendrons 5t CO2-eq pour la construction (au lieu de 6).
- Les batteries actuelles semblent déjà durer plus de 200.000 km, et nous prendrons 250.000 km de durée de vie pour nos voitures au lieu de 200.000.
- Si la réduction des émissions du mix électrique se poursuit, nous pouvons tabler sur 50g CO2-eq/kWh (au lieu de 100 ci-dessus, et environ 60 actuellement).
- Nous prendrons une consommation moyenne de 15 kWh/100km en conditions réelles pour la voiture électrique, éventuel effet rebond compris (au lieu de 22 ci-dessus), qui correspond grosso-modo à une voiture électrique légère et performante actuelle.
- Et comme à l’épisode 1 :
- une réduction de 30% des distances parcourues ;
- enfin, une occupation moyenne de 2,5 personnes par voiture au lieu de 1,6.
Grâce à la durée de vie allongée, la distance annuelle parcourue plus faible et l’occupation moyenne plus importante, on doit alors construire 720.000 véhicules neufs / an au lieu de 2 millions, soit 5,4 Mt CO2-eq. La distance totale parcourue est multipliée par 0,7 * 1,6/2,5 = 0,45, soit 200 milliards de km au total, pour 1,5Mt de CO2-eq. Les émissions totales sont donc de 7 Mt : une réduction de 93% par rapport à la situation actuelle. Là on commence à parler.
« Primes à la conversion », vraiment ?
Nous concluons cette vidéo par la minute « guide d’achat durable » sponsorisée par l’association 40 millions d’équilibristes.
En période de transition actuelle, les diverses « primes à la conversion » incitent à mettre sa voiture thermique à la casse pour acquérir une voiture électrique. Or le choix de garder ou de jeter sa voiture thermique devrait être un peu plus cornélien que ça. Considérons que dans un premier scénario, vous gardiez votre voiture thermique jusqu’en fin de vie (200.000 km) et seulement à ce moment vous achetez une voiture électrique que vous gardez à nouveau jusqu’en fin de vie, etc., ce qui donne une courbe d’émission de CO2-eq selon les km parcourus comme ceci :
Pour le second scénario, vous mettez directement votre voiture thermique à la casse et vous achetez tout de suite une voiture électrique. On a donc une courbe comme ceci :
En combinant les deux nous obtenons ce genre de courbes :
Pour être plus réalistes, nous considérerons qu’à chaque renouvellement, 10% des possesseurs de voiture optent pour ne pas en racheter une, c’est-à-dire que le coût carbone du renouvellement et de l’utilisation diminue de 10% à chaque étape. Sur un grand nombre d’étapes, on obtient alors des courbes de la forme suivante :
Soyons clairs, en termes d’émissions de GES il n’y a généralement pas une grande différence entre les deux scénarios et c’est donc de l’optimisation que nous allons faire.
On remarque déjà que s’il reste trop de km à parcourir avec la voiture thermique initiale, ou si celle-ci est trop émettrice de CO2 par km, alors la courbe bleue dépasse la courbe rouge et donc la mise à la casse de la voiture thermique est la meilleure option comme ci-dessus.
Mais dans le cas contraire, il vaut mieux conserver sa voiture thermique.
Nous pouvons schématiser cela sur un graphique représentant, en fonction du nombre de km au compteur de votre voiture thermique actuelle, le seuil de consommation en l/100km au-delà duquel il vaut mieux changer tout de suite. Voici ce que ça donne en France (hypothèse 70g CO2-eq/kWh, 18 kWh/100km).
Par exemple, il vaut mieux conserver sa voiture diesel qui a 140.000 km et qui consomme 5 litres aux 100km, mais il vaut mieux remplacer par une voiture électrique sa voiture essence qui a 60.000 km et qui consomme 6 litres aux 100 km.
Et en Allemagne ou aux États-Unis (hypothèse 360g CO2-eq/kWh, 18 kWh/100km) :
Ça s’appelle de l’optimisation à la louche, bel oxymore.
Mais pour finir nous dévoilons pour vous ici en exclusivité notre conseil malin : si vous le pouvez, n’achetez pas de voiture. C’est bon pour la santé, c’est bon pour le portefeuille, c’est bon pour la planète.
Sources
- Émissions de la production d’électricité : en Europe (p. 47) ; dans le monde.
- Émissions lors de la production des batteries : Crenna, Gauch, Widmer, Wäger et Hischier, 2021 (autour de 100kg CO2-eq ou plus par kWh) ; Hoekstra et Steinbuch, 2020 (40 à 100kg CO2-eq/kWh selon les études, 75 en moyenne) ; Kelly, Wang, Dai et Winjobi, 2021 (50 à 60kg CO2-eq par kWh).
Images
Alexandria Bates, Nicolas Peyrol et Joydeep Sensarma @ unsplash.com
Bonjour, je trouve le concept d’affiche à placarder excellent ! Sinon, pour le premier graphique, je ne comprends pas pourquoi ne voit-on pas les paliers des remplacements successifs des batteries en fin de vie , ou, tout du moins le premier ( tous les 150000 km ?). Est-ce à dire qu’on considère que ce remplacement est neutre en émission carbone ? Je ne pense pas que la courbe remonte au-dessus de la thermique mais ça rendrait le graphique plus réaliste, je pense…
Eric.
Merci pour votre commentaire. Les posters sont du magazine vert.eco et non de moi, mais c’est une excellente initiative en effet.
Pour le premier graphique, je considère que la batterie dure toute la vie de la voiture, soit 200.000 km, ce qui semble être largement le cas avec les batteries actuelles. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de changement de batterie sur le graphique (sinon cela ajouterait 5 tonnes CO2-eq à la courbe de la voiture électrique).