L’essentiel sur l’essence
Une voiture consomme 6l d’essence aux 100 km. Elle émet 140g de CO2 par km. Rien ne vous choque ? D’accord, on fait mieux comme voiture. D’accord, 7,5 m3 tous les 100km ça fait beaucoup de CO2. Mais encore ?
Je reformule. Pour 100km, elle consomme environ 4,5 kg d’essence (densité de l’essence 0,75 kg par litre) et émet 14 kg de CO2. Lavoisier, rien ne se perd rien ne se crée, tout ça, on produit 14 kg à partir de 4,5 ?? Voilà, on y est. D’où vient tout ce CO2 ? Avons-nous mis au jour un vaste complot mondial ? On nous mentirait ?
Il faut comprendre deux choses. Dans CO2 il y a C certes, mais il y a aussi O2. Or une mole de carbone pèse 12g, tandis qu’une mole de dioxygène en pèse 32. Donc au total une mole de CO2 pèse 44g dont à peine plus du quart vient du carbone. L’essentiel du CO2 (73%) est ainsi de l’oxygène.
Mais comment ce CO2 est-il fabriqué ? Admettons que l’essence soit essentiellement constituée d’octane, C8H18, hypothèse assez représentative de la réalité. En simplifiant légèrement, la réaction de combustion est alors
2 C8H18 + 25 O2 ⟶ 18 H2O + 16 CO2,
c’est-à-dire qu’elle produit de l’eau et du CO2. En simplifiant éhontément, on peut oublier un instant l’eau et l’hydrogène et résumer la partie de la combustion qui nous intéresse par
C + O2 ⟶ CO2.
Or seul le carbone vient de l’essence ! Le dioxygène, lui, est prélevé dans l’air bien sûr. Environ 85% de la masse de l’essence est composée de carbone (le reste est de l’hydrogène comme on l’a vu, d’où le nom « hydrocarbure »). Donc 14g d’essence interviennent dans la réaction pour fournir les 12g de carbone qui réagissent avec les 32g de dioxygène de l’air.
L’essence ayant une densité d’environ 0,75 kg/litre, les 6 litres mentionnés en introduction produisent bien
6 * 0,75 (masse d’un litre) * 0,85 (pourcentage de carbone) * 44/14 (CO2 par kg de carbone)
= 14 kg de CO2 environ. Pas de vaste complot mondial démasqué, donc. Juste le constat que votre voiture est une petite usine à transformer le dioxygène de l’air en dioxyde de carbone. Moyennant 2 euros le litre d’essence bien sûr.
L’essence n’étant pas de l’octane pur, chaque litre d’essence émet en réalité environ 2,4 kg de CO2 lors de sa combustion, plutôt que les 2,3 que nous venons de calculer. Mais il a fallu extraire le pétrole, le raffiner, le transporter, etc., ce qui émet également des GES. Tout compris, le facteur d’émission d’un litre d’essence s’élève ainsi à 2,9 kg de CO2-eq. Pour le gazole (densité 0,84), les chiffres sont respectivement 2,7 et 3,25 pour le même surcoût d’environ 20% pour la phase « amont ».
Ce point étant clarifié, revenons à nos moutons à roulettes.
Les voitures particulières en France
Nous parlerons ici uniquement des voitures thermiques qui représentent en 2022 encore 99% du parc automobile français, mais n’ayez crainte les deux prochains épisodes seront consacrés à leurs consœurs électriques en plein essor.
Bon an, mal an, chaque année sont vendues en France autour de 2 millions de voitures neuves, malgré une forte baisse depuis 3 ans (2,2M en 2019, 1,6M en 2021 et probablement autant en 2022…). La construction d’une voiture émet de l’ordre de 7 tonnes de CO2-eq, auxquelles il faut ajouter un peu moins d’une tonne en fin de vie pour le recyclage et les déchets : arrondissons le total à 7,5t.
On a donc déjà environ 15 Mt de CO2-eq émis par an pour la fabrication et la fin de vie des deux millions de voitures particulières vendues chaque année en France. Mais ensuite, paraît-il, lesdites voitures sont censées rouler. Les 14,5 millions de voitures particulières à essence du parc français parcourent en moyenne 8500km/an et émettent de l’ordre de 180g CO2/km (7,5l aux 100km), soit au total 22 Mt CO2-eq. Les 22,5 millions de voitures particulières diesel du parc français parcourent en moyenne 14000km/an et émettent de l’ordre de 160g CO2/km (6l aux 100km), soit au total 51 Mt CO2-eq. Nous retrouvons ainsi les 73 Mt CO2-eq par an qui représentent les émissions des voitures particulières issues de la combustion du carburant.
Mais nous l’avons vu, il faut prendre en compte un facteur d’émission environ 20% plus élevé à cause du raffinage du pétrole et autres joyeusetés, ce qui nous amène à environ 85 Mt. Au total, fabrication et circulation émettent donc de l’ordre de 100 Mt de CO2-eq chaque année. Excusez du peu.
Transports routiers en France
Mais on peut faire mieux. Car ça c’était seulement pour les voitures individuelles, or sur nos routes, je crois, il y a aussi des camions, des utilitaires, des bus, des motos, etc. Voici ce que ça donne :
Le total pour le transport routier s’élève ainsi à environ 170 Mt CO2-eq/an. Comme le total de l’alimentation si vous avez suivi la vidéo correspondante, soit 38% de nos émissions territoriales. Mais on a compté ici des émissions extra-territoriales comme l’extraction et une partie du raffinage du pétrole, ainsi que la fabrication de véhicules importés : en omettant ces émissions-là, on obtient environ 150 Mt pour le périmètre national ou environ le tiers de nos émissions territoriales, soit un peu plus que les 127Mt prises officiellement comme émissions du transport routier en France car celles-ci ne comptent que les émissions de CO2 issues de la combustion du carburant.
Des responsables ?
Qui donc émet tout ça ? La répartition n’est bien sûr pas socialement équitable, ni selon le revenu, ni selon le lieu d’habitation.
D’après ces données, certains citadins pourraient avoir envie de pointer du doigt les 5 millions d’actifs qui travaillent à moins de 5km et qui prennent tout de même leur voiture. D’abord, peut-être y a-t-il une bonne raison à cela. Ensuite, pour une distance moyenne de 6km A/R par jour, cela représente 1400km par an. En prenant en compte la surconsommation de carburant éventuelle sur ces trajets très courts, nous arrondirons à 1500km, soit en cumulé l’équivalent de 7,5 milliards de km. À 200g CO2-eq/km, s’ils laissaient leur voiture au garage la réduction serait de 1,5Mt CO2-eq. Alors oui ce serait sans doute bien pour plein de raisons, mais ce n’est pas ce qui va sauver la planète.
Améliorations à portée de main
Que peut-on améliorer d’autre ? Facile à dire bien sûr, mais voyons l’impact de différents changements.
- Réduire à 5t de CO2-eq les émissions dues à la construction et à la fin de vie des véhicules (au lieu de 7,5t), en produisant des voitures plus petites en moyenne, permettrait d’économiser 5Mt.
- Dans le même ordre d’idée, réduire de 40% la consommation moyenne des voitures particulières (c’est-à-dire passer à 4,5l/100 pour les voitures à essence et 3,6 pour les diesel en moyenne), grâce à des voitures plus petites et plus économes, à une conduite plus souple et à des améliorations technologiques, permettrait d’économiser 0,4 * 73 * 1,2 = 35Mt (s’il n’y a pas d’effet rebond). Ce n’est pas rien. (Pour comparaison la Vesta 2 en 1987 consommait 2 litres de super aux 100km sur autoroute, et environ 3 litres en mixte, soit environ 90g CO2-eq/km facteur d’émission compris, pas mal pour une voiture essence d’il y a 35 ans.)
- Réduire de 30% le trajet moyen des voitures particulières (8400km au lieu de 12000) permet d’économiser 0,3 * 73 * 1,2 = 26 Mt en utilisation, ainsi que de construire 30% de voitures en moins et donc d’économiser 4,5Mt en fabrication, soit au total 30Mt. Pas mal non plus.
- Enfin, augmenter à 2,5 personnes par véhicule l’occupation moyenne des voitures particulières, au lieu de 1,6 actuellement, et bien sûr sans pour autant reporter sur la voiture des trajets actuellement effectués en transport en commun, vélo et marche à pied, permettrait de diviser par 2,5 / 1,6 = 1,56 le nombre de voitures en fabrication et en circulation, ainsi que le nombre total de km parcourus, soit de diviser par 1,56 les 100 Mt émis par les voitures particulières. On gagnerait ainsi 36Mt, encore une mesure efficace.
- Évidemment, l’idéal serait de tout cumuler : 2,5 personnes/voiture et 8400km/voiture/an (ce qui signifie 37 * 1,6/2,5 = 23,7M voitures en circulation et 2 * 1,6/2,5 * 0,7 = 0,9M voitures neuves par an), 5t pour la construction d’une voiture (total 4,5Mt), émission moyenne 120g (facteur émission inclus, total 23,5Mt). On obtient alors 28 Mt CO2-eq/an au lieu de 100, soit une réduction de plus de 70%, vive les soldes.
L’effort en vaudrait clairement la chandelle, même si ce ne serait toujours pas suffisant pour les objectifs de la France en 2050.
Mais toutes ces considérations vont rapidement devenir obsolètes puisque la vente des voitures thermiques sera interdite en Europe en 2035. Voyons donc aux épisodes suivants ce qu’il en est des voitures électriques.
Sources
- Données CITEPA sur les émissions par secteur.
- Facteurs d’émission (ADEME) : carburants ; fabrication, etc.
- Véhicules en service (parc total France, INSEE) ; deux-roues motorisés (ONISR) ; immatriculations de véhicules particuliers neufs (INSEE) ; parc électrique (Le Monde).
- Vesta 2 (Wikipédia).
- Aviation France : chiffres 2019 (gouvernement) (vols intérieurs France : 55,8 milliards de passager-km + vols internationaux origine France 364,6 milliards passager-km, à environ 200g CO2-eq/km = env. 50 Mt CO2-eq, cf. [Avion 2] Le moyen de transport le plus écologique (?)) ; autre mode de calcul, il convient de multiplier par deux environ (Aurélien Bigo) les émissions dues au seul CO2 pour prendre en compte les effets de réchauffement totaux (voir aussi [Avion 2] Le moyen de transport le plus écologique (?)), donc les 24Mt national et international (SDES) donnent environ 50 Mt CO2.
- Utilisation de la voiture par décile de revenu (INSEE) : figure 4a (et nombre d’UC par ménage selon décile).
- Répartition par lieu de résidence des distances annuelles parcourues en véhicule motorisé (SDES, 2016) : graphique 2. La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances (INSEE) : figure 3.
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