[Avion 2] Le moyen de transport le plus écologique (?)

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J’ai été interpellé l’autre jour par l’argumentaire rigoureusement exact d’un individu heureusement rigoureusement imaginaire à long nez. Tordre la main aux chiffres n’est malheureusement pas rare, et raisonnement et honnêteté ne vont pas toujours de pair : nous l’allons montrer tout à l’heure…

Le discours au long nez

C’est un terrain sur lequel constructeurs aéronautiques et compagnies aériennes n’ont pas encore osé s’aventurer. À l’heure du réchauffement climatique, c’est pourtant le scoop de la décennie. Pour sauver le climat et faire évoluer les mentalités, je dois ici saisir la tribune qui m’est offerte.

Ah, et faites-moi penser à renouveler ma carte de lobbyiste.

J’imagine qu’il est évident pour chacun d’entre nous que la marche à pied est le mode de déplacement écologique par excellence. Or, je vais le prouver sans ambiguïté, l’avion est indéniablement plus écologique que la marche à pied. Celui-ci prend donc la première place du podium des transports écologiques : je me réjouis de rétablir enfin la vraie vérité.

En effet, qui ne voudrait pas léguer un monde vivable à nos enfants ? Qui ne souhaite pas réduire drastiquement les émissions de CO2 ? Nous montrons ici que l’avion est injustement décrié à ce sujet, et a au contraire un rôle des plus vertueux à jouer.

Nous comparerons uniquement les émissions de l’aviation à celles de la marche à pied mais il est clair que la voiture par exemple est bien moins écologique que la marche à pied et nous l’ignorerons ici par souci de concision. Nous laissons ce travail à la fourmi.

La marche à pied

La cigale sa voisine prétend que la marche à pied émet zéro gramme de CO2. Oui, zéro ! Quelle fable. À 5 km/h à pied, nous consommons en une heure de l’ordre de 250 kcal d’énergie de plus de notre métabolisme de base. Or si vous avez bien suivi notre série de vidéos sur l’alimentation, le régime alimentaire français type émet environ 2g d’équivalent CO2 par kcal. Nos chers piétons certifiés 100% verts émettent donc en réalité de l’ordre de 100 g de CO2-eq par km parcouru. Ce n’est pas rien, ne vous déplaise.

Vous marchiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! Volez maintenant.

L’aviation

La cigale se tourna donc vers le kérosène quand la bise fut venue. Elle constate avec stupeur qu’un A320 NEO flambant neuf consomme environ 25.000 litres de kérosène pour parcourir 6000 km en emportant 180 passagers. Sachant que la combustion d’un litre de kérosène libère 2,53 kg de CO2, elle en déduit (elle n’est pas économe mais elle est futée) que l’avion émet seulement environ 60g de CO2 par passager-km.

D’accord, un avion est rarement plein et rarement neuf, se dit-elle. Il faut prendre en compte un taux de remplissage autour de 80%. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’il n’y a pas que des A320NEO dans le ciel, que tous ne sont pas aménagés pour une capacité de 180 passagers, et que les valeurs précédentes sont vraies pour du long courrier : elles augmentent lorsque l’avion est plus petit (moins de passagers transportés) ou le trajet plus court (impact plus important des phases de décollage et d’atterrissage). On arrive alors à des valeurs d’environ 80 à 90g de CO2/passager-km comme le proclament Easyjet ou Lufthansa par exemple. Pas mal pour un truc volant de 60 tonnes quand même. C’est même très impressionnant, on peut le dire.

Et surtout, CQFD, l’avion émet moins de CO2 que la marche à pied.

Voilà. Ne regardez pas la suite. D’ailleurs signez tout de suite ici la clause de confidentialité, merci.

Alors nous articulerons la suite de notre exposé en deux parties :

  1. Pourquoi c’est faux
  2. Pourquoi c’est stupide

Pourquoi c’est faux

Quelques subterfuges se sont malencontreusement glissés dans notre exposé.

Par mégarde nous avons omis le train ou le vélo qui ne rentraient malheureusement pas dans le cadre de notre étude, c’est dommage. D’après les chiffres de la SNCF, un TGV émet de l’ordre de 2g de CO2-eq par passager-km (tous types de trains, métros ou tramways confondus, c’est plutôt autour de 5g). Oups. Pour le vélo, un cycliste consomme de l’ordre 400 kcal par heure à 18 km/h, soit environ 20 kcal par km, ce qui, de la même manière que nos calculs précédents à 2 g CO2-eq / kcal, donne 40 g CO2-eq. On voit donc qu’on peut quand même laisser l’avion loin derrière avec des moyens somme toute très conventionnels.

Du côté des avions

Par ailleurs, vous avez peut-être remarqué le petit « eq » énervant que j’ajoute presque à chaque fois que je parle des émissions de CO2. Le CO2-eq, c’est la façon de mesurer de manière homogène les gaz à effet de serre en fonction de leur pouvoir de réchauffement global, car le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre.

Les élèves au premier rang ont même pu voir que j’avais oublié ce petit eq seulement quand je parlais de l’avion. Re-oups. En vrai, le CO2 issu de la combustion de kérosène représente à peine plus du tiers seulement de l’impact de réchauffement d’un avion.

Il faut ajouter d’une part les émissions dues :

  • à la construction des avions et au fonctionnement des aéroports,
  • à l’extraction, au transport et au raffinage du kérosène,
qui font monter le facteur d’émission à 3,06 kg de CO2-eq par litre au lieu des 2,53 considérés plus haut.

D’autre part, en plus du CO2 il faut prendre en compte l’effet des traînées de condensation elles-mêmes ainsi que des cirrus qu’elles peuvent engendrer qui augmentent l’effet de serre, la production d’ozone indirecte issue de la réaction des oxydes d’azote à haute altitude (qui détruisent aussi un peu de méthane au passage, enfin une bonne nouvelle), ainsi que d’autres effets plus faibles.

Quelques-uns de ces effets diminuent le forçage radiatif, mais au total il s’agit bien d’une énorme augmentation, et ils sont bien loin nos insouciants 80g de CO2 par km-passager en avion : il s’agit malheureusement plutôt de l’ordre de 200g de CO2-eq par km-passager en moyenne.

Tant et si bien que la contribution du secteur aérien commercial sur la période 2000-2018 est estimée à environ 5% du forçage radiatif anthropique, c’est-à-dire du réchauffement d’origine humaine, bien loin des 2% et des poussières que les compagnies aériennes brandissent en ne considérant que le CO2 issu de la combustion du kérosène.

Voilà la raison des divergences de chiffres entre les syndicats et la po… euh entre les compagnies aériennes et les ONG.

Du côté des piétons

Ça c’est fait, voyons maintenant du côté des piétons. Comme on l’a vu dans la série sur l’alimentation, on peut aisément diviser par deux les émissions et arriver à 1g de CO2-eq par kcal, ce qui donne 50g par km pour la marche à pied, soit 4 fois moins que l’avion, foi d’animal.

Mais la marche fait partie de l’activité physique quotidienne nécessaire pour la santé et devrait donc être incluse dans nos dépenses caloriques de base, c’est la raison pour laquelle il est le plus souvent considéré, assez légitimement, que ce moyen de locomotion n’émet aucun gaz à effet de serre. Donc entre 0g pour la marche et 200g pour l’avion, je crois qu’on a maintenant compris qui monte réellement sur la première marche du podium écologique.

Mais plus important encore est de comprendre pourquoi il est stupide de comparer ainsi marche à pied et avion.

Pourquoi c’est stupide

Considérons un A/R Paris-New York de 12.000 km.

En admettant qu’on puisse traverser l’Atlantique à pied (oui, mon deuxième prénom est Jésus), à 4 km/h, 7h/j, 5j/7, ça fait 20 mois de marche. Tout l’été, jusqu’à la saison nouvelle, et encore davantage. C’est le genre de voyage initiatique qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie (et en moyenne plutôt de l’ordre de 0,0001 fois probablement).

Or en avion, on peut le faire une fois par semaine, et en pratique une ou deux fois par an pour les amateurs de destinations lointaines pour les vacances. En 50 ans, ça fait 50 à 100 fois. Vous voyez l’ennui.

Comme à l’épisode 1, le problème de l’avion est qu’il va trop vite, et donc que la mesure de CO2-eq par km n’est pas adaptée. On pourrait reprendre l’exemple de notre fusée pour s’en convaincre : si vous émettez 10.000 tonnes de CO2 pour l’A/R Terre-Neptune (8,7 milliards de km), ça fait seulement 1g de CO2 par km, soit plus écologique même que le train. Et pourtant en un voyage vous émettriez 10 fois plus que pendant toute la vie d’un Occidental moyen. Pas sûr que la mesure par km soit vraiment pertinente en effet…

Nous allons donc considérer les émissions par trajet, tout pareil qu’à l’épisode 1. Et là ça change tout, évidemment, mais chut, on va éviter que ça se sache, hein.

  • 15 minutes à pied (1,2 km) = 0g de CO2-eq si inclus dans activité quotidienne, ou de 60 à 120g
  • 20 minutes à vélo (6 km) = 0g de CO2-eq si inclus dans activité quotidienne, ou de 120 à 240g
  • 2h en TGV (500 km) = 865g CO2-eq (à 1,73g/passager-km pour le TGV)
  • 1h en voiture (80 km) = 12 kg CO2-eq (à 150g/km)
  • 3h en avion (2500 km) = 500 kg CO2-eq (à 200g/passager-km)

Certes le classement est sans surprise même si ça casse les pieds, ou du moins si ça use les souliers. Et l’avion pollue au moins 4000 fois plus que la marche à pied. Ce n’est pas là son moindre défaut.

Sources

Illustrations

  • Image Wikipédia : Rama
  • Images Unsplash : Resul Mentes, Joel&Jasmin Forestbird

3 réflexions sur “[Avion 2] Le moyen de transport le plus écologique (?)”

  1. Ping : [Voiture 1] Les mystères de Miss Thermique – Désordre de grandeur

  2. Petite précision pour le voyage Terre-Neptune : je suppose qu’une bonne partie du CO2 émis correspond au décollage de la Terre mais il ne faut pas oublier que l’autre partie est expédiée à plus de 99,999% … en dehors de l’atmosphère. Du coup ça fait encore baisser le taux de CO2 émis 😉

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