[Alimentation et climat 1] La charrue et les bœufs

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Je suis aussi vieille que l’humanité, je fournis de l’énergie à toute la population, je produis plus de gaz à effet de serre que la voiture, je suis, je suis…
… l’alimentation.

Agriculture vs voiture

Surprenant, n’est-ce pas ? Le symbole ultime du dérèglement climatique, la voiture, émet en réalité moins que la production alimentaire, dont l’élevage occupe le tout premier plan. En d’autres termes, l’inconscient collectif a tendance à mettre la charrue avant les bœufs.

Qu’on se rassure, la compétition est rude et la voiture se défend bien. Elle représente près de 60% (73,2 Mt en 2019) des émissions du secteur du transport routier qui, dans sa totalité (127,3 Mt), émet environ 50% de plus que l’agriculture en France (83,1 Mt, sur un total de 440 Mt en 2019) Mais l’agriculture n’est pas seule dans le secteur de la production alimentaire. On compte aussi la production d’intrants et l’importation d’aliments pour le bétail (+22 Mt), ce qui donne les 105 Mt qui nous serviront de base dans cette vidéo. Mais on pourrait légitimement ajouter partout 60% (+62 Mt) en prenant en compte toute la filière hors production (transport, réfrigération, cuisson, etc., ce qui chevauche d’autres secteurs, c’est pourquoi nous l’ignorerons ici) pour un total d’environ 38% des émissions de gaz à effet de serre en France. Oui, plus du tiers de nos émissions totales vient directement ou indirectement de notre assiette. Mettons donc les deux pieds dans le plat.

Soyons bien d’accord, il n’est surtout pas question d’éviter l’énorme défi de la charrue et ses 73 millions de tonnes de CO2, elle aura son compte dans une autre vidéo. Je dis juste que celui des bœufs est tout aussi énorme, et sans doute moins médiatisé. Et encore, je ne parle ici que des gaz à effet de serre, pas de la pollution des eaux, de la déforestation à l’échelle mondiale, et j’en passe.

Mets les gaz

Mais d’où diantre nos amies les bêtes et nos amis les champs sortent-ils le CO2 ? Bonne question. Le spectateur a toujours de bonnes questions. N’a-t-on pas appris au contraire qu’une plante qui pousse absorbe du CO2 ? Et qu’une vache qui pousse, euh non.

Je voudrais dire une première chose. Voyez-vous, on cueille généralement les plantes au bout de quelques mois, adieu donc le puits de carbone.

Mais je voudrais dire une deuxième chose. Les tracteurs à pédales, c’est fini, pour labourer il faut du pétrole. Vous pensez peut-être que ça ne va pas chercher bien loin, eh bien vous avez raison. Le spectateur a toujours raison. La consommation d’énergie représente seulement 10% des émissions de l’agriculture.

Je voudrais donc dire une troisième chose. Il n’y a pas que le CO2 dans la vie. L’agriculture raffole de méthane et de protoxyde d’azote. Or le premier est un gaz à effet de serre 27 fois plus puissant que le CO2, le second 273 fois : quand on ramène tout en équivalent CO2, ça pèse, évidemment.

D’où débarquent-ils ces deux-là ? Pour le méthane, CH4, c’est simplement le gaz naturel hein, celui qui cuit votre eau et chauffe vos pâtes, à moins que ce ne soit l’inverse, bref, le méthane provient principalement des ruminants et de leur système gastrique : un bovin éructe (surtout) et flatule (un peu) autour de 65 kg de méthane par an en moyenne (soit 1,75 tonne CO2-eq), donc les 18 millions d’individus du cheptel français émettent annuellement plus d’une Mt de méthane, soit l’équivalent d’une trentaine de Mt de CO2. (Je vois venir les petits curieux : pour un humain, c’est quelques dizaines de grammes de méthane par an, soit en CO2-eq pour 70 millions d’habitants : environ 50 kt, ce qui est presque négligeable sauf s’il s’agit de TNT.) On remercie aussi le lisier pour sa participation généreuse à l’effort collectif d’émission de méthane, à hauteur d’une petite trentaine de pourcent, pour un total d’un peu plus de 40 Mt CO2-eq.

Mais ce n’est pas tout, intéressons-nous à son compère, le protoxyde d’azote, N2O, ou gaz hilarant, propulseur de chantilly à ses heures (E942) et au passage destructeur de la couche d’ozone, ce qui n’a rien d’hilarant. Lui, il vient surtout de l’épandage de lisier, de fumier et d’engrais azotés (120.000 t), et de la fabrication elle-même des engrais azotés (30.000 t). On parle là d’environ 150.000 t par an, soit 40 Mt CO2-eq tout de même, le même ordre de grandeur que le méthane (pour une masse émise 10 fois moindre si vous avez suivi, puisque son pouvoir réchauffant est 10 fois supérieur). Mais les engrais, ça sert aux cultures et pas à l’élevage, vous allez me dire. Oui, et non. Car la moitié de la surface agricole française est de la culture fourragère destinée à nourrir le bétail…

Il reste pour compléter le tableau quelques Mt de CO2, oh deux fois rien, issus principalement de la consommation d’énergie (9 Mt) et de la fabrication d’engrais (16 Mt).

Des camions et des piscines

Peut-être que les Mt ne parlent pas à tout le monde. À pression atmosphérique, le CO2 pèse 1,87 kg/m3. 105 Mt font donc 56 milliards de m3. Ça ne parle pas beaucoup plus, ou alors il faut tendre l’oreille. Vous voyez un semi-remorque, les plus gros peuvent transporter 100 m3. Donc 105 Mt de CO2 c’est l’équivalent en volume de 560 millions de camions, soit s’ils sont tous à la queue leu-leu, une file qui ferait 11 millions de km, 280 fois le tour de la Terre. Chaque jour, les camions nécessaires pour transporter le CO2 produit par l’agriculture française en 24h rempliraient trois fois le réseau autoroutier français. Bison futé devrait peut-être ajouter quelques nuances de noir.

Ou encore, pour ceux qui préfèrent les métaphores aquatiques, 105Mt de CO2 remplissent 20 millions de piscines olympiques. Pleines. Chaque année. Seulement pour l’agriculture française. Voilà.

Dans ce bilan, l’élevage représente plus de la moitié des émissions, dont les bovins sont responsables de la grande majorité alors que leur viande n’apporte que 3% des calories fournies par l’alimentation en France.

C’est à tel point qu’un steak de bœuf par jour équivaut en une année grosso-modo à 13.000 km en voiture. On en revient à notre charrue et nos bœufs, et nous continuerons le labour à l’épisode 2 avec ce qu’il en coûte de croquer des pommes.

Sources principales

Illustration

Images Unsplash.com : John Fornander, NASA, Saikiran Kesari

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