[Avion 1] Le moyen de transport le plus sûr (?)

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L’avion est le moyen de transport le plus sûr, tout le monde le sait, et même les compagnies aériennes le disent. Si l’on regarde les chiffres, il est même 1000 fois plus sûr que la marche à pied. Ça vous étonne ? Moi aussi. Allons voir ça de plus près.

La sécurité « officielle »

Il est vrai que la sécurité en avion a énormément progressé ces dernières décennies, et par rapport au nombre total de passagers transportés, le nombre de morts est très faible à 0,06 mort par milliard de passager-km (GPK), ce qui fait de l’avion un moyen de transport très fiable en effet.

Pour le train, on est sur le même ordre de grandeur à 0,1 mort par milliard de passager-km, ce qui confirme que ces deux moyens de transport sont effectivement très sûrs.

Ils sont même 40 fois plus sûrs que la voiture, qui émarge elle à 4 morts par milliard de passager-km. Et que dire de ces piétons qui meurent encore 15 fois plus qu’en voiture, c’est-à-dire 1000 fois plus qu’en avion !?

Nombre de morts par milliard de passager-km (GPK)
Avion 0,06
Train 0,1
Voiture 4
Piéton 60

Mais j’y comprends plus rien ??

Il faut reconnaître que c’est difficile à croire. Pour percer ce mystère, il faut nous pencher sur cette notion de GPK.

Les GPK

Il s’agit de la mesure « officielle » des risques dans les transports, qui est promue par les compagnies aériennes notamment, et qui est reprise sans trop réfléchir par la plupart des médias. J’ai simplement pris la liberté de créer l’acronyme GPK pour les besoins de cette vidéo. GPK signifie Giga, c’est-à-dire milliard, de Passager Kilomètre. Un GPK est atteint lorsqu’un certain nombre de personnes parcourent au total une distance cumulée d’un milliard de km, par exemple lorsqu’un million de passagers ont chacun parcouru 1000 km. Lorsqu’on mesure le nombre de décès en GPK, on mesure donc le nombre de morts en fonction de la distance totale parcourue.

Très bien, mais est-ce vraiment la bonne mesure ? Pour le comprendre, faisons un petit détour par l’espace.

Ma fusée pour Neptune

Imaginons un instant que, pour le week-end, il y ait une promotion sur last-année-lumière.com pour un aller-retour pour Neptune. (Pour information, l’aller-retour fait 8,7 milliards de km.) Au détour d’un astérique-et-péril du contrat, vous vous apercevez cependant que vous avez une chance sur trois de mourir lors du trajet ! Je doute que vous ayez encore envie de votre escapade en amoureux. Et pourtant… Et pourtant, si on fait le calcul, le nombre de morts par milliard de passager-km est plus faible qu’en avion. Étonnant, non ? Là, on commence à comprendre que la mesure n’est probablement pas adaptée.

La minute mathématique

Il est judicieux ici pour les plus curieux de comprendre comment se fait ce genre de calcul. Lorsqu’un moyen de transport a un risque de x morts par milliard de km parcourus, par exemple x = 0,06 pour l’avion, cela signifie simplement que la probabilité de mourir à chaque km parcouru est p = x / 109. C’est minuscule bien sûr. Et cela signifie également que la probabilité de rester vivant à chaque km est 1-p, qui est très proche de 1 évidemment. Alors si on effectue un trajet maintenant de d km, la probabilité de rester vivant lors de ce trajet, c’est la probabilité de rester vivant au premier km, fois la probabilité de rester vivant au deuxième km, fois la probabilité de rester vivant au troisième km, et ainsi de suite pour les d km, ce qui nous fait une probabilité de rester en vie de (1-p)d.

Lorsqu’on applique cela au trajet Terre-Neptune qui mesure 8,7 milliards de km aller-retour, en se rappelant que le tour-opérateur ne garantissait un taux de survie que de 65%, on obtient pour calculer p l’équation suivante : (1-p)8,7.109 = 0,65. On peut résoudre cette équation et on trouve p = 0,05.10-9, soit un taux de 0,05 mort par milliard de passager-km, ce qui est un peu mieux que l’avion.

Si on récapitule, le moyen de transport le plus sûr c’est la fusée où on a une chance sur trois d’y passer, très très loin devant la marche à pied qui jusqu’à présent n’a pas été catastrophique pour l’humanité. Euh, y a pas un problème, là ?

Si les chiffres diffèrent tant de notre ressenti, c’est simplement que la mesure n’est pas adaptée, et il faut trouver une autre mesure plus fidèle à nos impressions.

D’autres mesures

Lorsqu’on mesure le risque en fonction du nombre de km parcourus, on donne un avantage aux moyens de transport parcourant le plus de km, donc à ceux qui vont le plus vite, comme l’avion ou, évidemment, notre fusée. C’est pour cette raison que la mesure en GPK considère le piéton comme un voyageur imprudent.

En réalité, notre ressenti dépend beaucoup plus de la durée que de la distance parcourue. C’est pourquoi il semble judicieux d’introduire, comme le font les articles sérieux sur le sujet, les GPH, milliard de passager-heure, qui mesurent le nombre de morts en fonction du nombre cumulé d’heures passées à voyager. On peut également évaluer le risque par trajet, et parler de milliard de passager-trajet (GPT) pour évaluer le nombre de morts en fonction du nombre total de trajets effectués. Contrairement aux deux autres, j’ai introduit cette notion pour cette vidéo, afin de bien comprendre que les mêmes chiffres peuvent donner des interprétations très différentes.

Afin d’évaluer le risque en GPT, il faut avoir une idée de la durée moyenne des trajets. Pour cette vidéo, nous prendrons les valeurs réalistes suivantes.

Durée moyenne des trajets
Avion 3 heures
Train 2 heures
Voiture 1 heure
Piéton 15 minutes

On prendra également 80h pour le voyage aller-retour pour Neptune. (Ça veut dire que notre fusée voyage à un dixième de la vitesse de la lumière ? Oui, bon, ce n’est pas très réaliste, mais l’exemple lui-même n’était de toute façon pas réaliste.)

Les vrais chiffres

On peut maintenant compléter notre premier tableau. Mesuré en fonction de la durée des trajets, l’avion a maintenant un risque de 27 morts par milliard de passager-heure. C’est toujours faible, mais c’est 4 à 5 fois plus que le train qui a un risque de 6 morts par milliard de passager-heure, et qui devient le moyen de transport le plus sûr. L’écart se réduit également avec la voiture, qui maintenant est à 140 morts par milliard de passager-heure, et avec les piétons qui sont à 230 morts par milliard de passager-heure. Et cette fois, on retrouve bien l’extrême danger de monter dans notre fusée puisqu’elle a un risque de 5,4 millions de morts par milliard de passager-heure.

C’est déjà un peu plus cohérent. Mais on peut faire mieux. Lorsqu’on mesure le risque par rapport au nombre de trajets, on trouve des valeurs qui sont très conformes à notre intuition. Mesuré en GPT, l’avion à 80 morts devient légèrement plus dangereux que la marche à pied à 58, et légèrement moins dangereux que la voiture à 140, alors que le train est toujours en tête à 12 morts par milliard de passager-trajet, ce qui est de loin le plus sûr. Et, on s’en doute, la fusée est vraiment très dangereuse à 350 millions de morts par milliard de passager-trajet, ce qui est conforme à notre hypothèse de 35% de risque de mourir lors du trajet.

Nombre de morts selon la mesure
GPK GPH GPT
Avion 0,06 27 80
Train 0,1 6 12
Voiture 4 140 140
Piéton 60 230 58
Ma fusée pour Neptune 0,05 5,4.106 350.106

Je ne sais pas vous, mais je crois que je vais annuler mon week-end sur Neptune.

Sources

Illustrations

Images Unsplash.com : Zoltan Tasi, Hello I’m Nik.

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